Publiée le 23 avril 2021

Modifiée le 7 juin 2021

Grandir avec un antiquaire

Mots-clés : Carrière | Famille

Un récit rédigé secrètement avec la complicité de Magali Somers Maus, la fille d’Axel Somers résidant aux États-Unis.

Grâce à moi

Axel et Nicole Somers, au début de l’aventure

En réalité, c’est grâce à moi que tout est arrivé…

Ils avaient alors 18-19 ans. Papa, Axel, entamait une formation en administration des affaires, tandis que Maman, Nicole, entreprenait des études d’architecture. De grands projets d’avenir… que l’annonce de ma naissance vint plus que compromettre !

Cette arrivée impromptue les força à revoir leurs plans: ils décidèrent tous deux d’arrêter leurs études, de se marier et de se lancer dans la vie active. Et pendant que ma mère devenait secrétaire pour un temps, mon père se lançait dans les premières expériences qui allaient lancer son aventure d’antiquaire.

En réalité, c’est grâce à moi que tout est arrivé…

Magali Somers Maus

Passionné de numismatique depuis plusieurs années, papa avait rassemblé une honorable collection de pièces de monnaie. Soucieux de subvenir aux besoins de sa famille, il décida de revendre toutes ces pièces pour gagner un peu d’argent. Au fil de ses ventes, il accumula quelques bénéfices, grâce auxquels il choisit d’acheter d’autres pièces. Qu’il revendit à nouveau ! Et c’est ainsi que, enchaînant les achats et les reventes, il put progressivement acheter un objet d’un peu plus de valeur, puis un petit meuble, et ensuite un plus gros, et ainsi de suite. Au fil des ans, son inventaire d’antiquités pris petit à petit de l’ampleur. Un résultat dû à son talent et sa passion, mais également à la rencontre de personnes dont l’expérience et l’érudition furent déterminantes dans son apprentissage. Des personnes qui devinrent de réels mentors, qui l’ont influencé, aidé et éveillé à ce qu’était ce magnifique métier. Voilà comment, de fil en aiguille, mon père est devenu antiquaire.

C’est peut-être pour ça qu’il est si doué dans son métier: il l’a appris sur le terrain, écoutant les conseils de ses maîtres, qui lui ont transmis un savoir qu’aucune école n’aurait pu lui prodiguer. Ce qui ne l’a pas empêché de se tourner également vers les connaissances plus académiques, comme en témoigne cette énorme bibliothèque qu’il s’est constituée au fil des années et dont il connaît le moindre volume. J’ai toujours été impressionnée de voir comment mon père, quel que soit le sujet, pouvait plonger dans sa bibliothèque et en retirer aussitôt LE bouquin apportant toutes les réponses que nous cherchions.

Des souvenirs d’enfance

Magali Somers, en 1990

Chaque enfance comporte ses instants mémorables, mais je crois pouvoir dire qu’une fille d’antiquaire vit certaines aventures que peu de gens peuvent connaître.

Comme ce mercredi après-midi où, jeune adolescente, j’étais occupée à étudier dans ma chambre. J’entendis frapper à ma porte et m’empressai d’ouvrir. Apparurent mon père et un de ses clients.

« Voilà, Monsieur. C’est la commode dont je vous ai parlé », annonça mon père.

Je le regardai, stupéfaite, tandis que le client acquiesçait et confirmait son intérêt pour le meuble. Et, le client tout juste sorti de ma chambre, mon père de m’annoncer que j’avais cinq minutes pour vider cette commode à laquelle je tenais tant: il avait réussi à la vendre ! J’eus beau exprimer mon mécontentement à mon père, il semblait à peine le comprendre et me consola en me disant que je pouvais aller choisir une nouvelle commode n’importe où dans le magasin. Ce que je fis aussitôt, sans pleurer mon ancienne commode. Car c’est ça, la vie d’un enfant d’antiquaire, une vie passée au milieu de meubles et autres décorations qui évoluent en permanence, parce les objets du quotidien font bien souvent de l’inventaire du commerce.

Une autre fois, alors que je n’étais pas plus âgée, Papa me demanda de l’accompagner chez une personne souhaitant vendre un meuble. Nous voilà partis dans le vieux break de mon père et nous arrivâmes chez le particulier. Les négociations purent rapidement aboutir, et c’est là que les choses se compliquèrent pour moi.

« Viens vite ! Nous devons charger le meuble ! »

Car c’était ainsi que se déroulaient de telles affaires, à l’époque. Pour être certain qu’un nouvel acquéreur ne viendrait pas surenchérir dès votre départ, la seule solution consistait à non seulement payer le meuble mais également à l’emporter immédiatement ! C’est pourquoi il était très important de toujours disposer d’importantes sommes d’argent sur soi, mais aussi de pouvoir assurer le transport. Or, en guise de déménageur adjoint, mon père ne disposait « que » de sa fille. J’essayai bien de le convaincre que j’étais trop petite pour porter un tel meuble, que je n’y arriverais jamais, mais nécessité fait loi : j’aidai mon père et nous chargeâmes le meuble à l’arrière de la voiture. Un scénario qui se répéta de nombreuses fois, me laissant parfois à peine la place pour regrimper dans le véhicule !

Foires & marchés

Que de temps ai-je passé sur les foires et marchés, toute mon enfance durant ! Assise dans un coin, jouant avec ma Barbie, mon petit frère jouant avec ses petites voitures, parfois des journées entières. Très vite, nous avons appris à emballer, sortir des cartons, ranger chaque pièce avec mille précautions. Du temps passé à observer ce monde à part, à écouter Papa présenter ses objets, discuter et négocier avec les acheteurs.

Mêmes les préparatifs restent gravés dans ma mémoire. Nous devions charger la voiture dès la veille, afin de partir avant l’aube. Réveillés à 5 heures du matin, nous mangions une fricassée que préparait mon père, avec lard et pommes de terre. Puis nous partions sans tarder pour installer notre marchandise avant l’arrivée des premiers visiteurs. Une fois la journée achevée, il n’était pas rare que nous nous retrouvions au restaurant avec l’ensemble des marchands, qui formaient une véritable petite communauté où chacun y allait de sa petite anecdote, toujours dans la bonne humeur.

Assise dans un coin, jouant avec ma Barbie…

En marge des rassemblements dédiés aux seules antiquités dignes de ce nom, il y avait également des marché plus modestes. Car, lorsqu’un antiquaire achète le contenu entier d’une maison parce qu’il s’y trouve quelques pièces d’intérêt, il est forcé d’y reprendre une foule d’objets beaucoup plus communs, qui n’ont pas leur place dans son magasin mais qu’il doit essayer d’écouler malgré tout. Alors nous passions aussi du temps sur des marchés plus populaires, tels que celui de Saint-Pholien. Forte de l’exemple de mon père, je pus très tôt m’y essayer moi-même à la vente, une activité que j’adore aujourd’hui encore.

Les premiers marchés d’AXSO…

Quand nous n’allions pas vendre sur les marchés, nous allions acheter ! Là aussi, il s’agissait d’arriver très tôt. Lorsque nous arrivions, les portes étaient encore fermées pour permettre à tout le monde d’entrer en même temps. Ensuite, quand les organisateurs ouvraient les portes du marché, tout le monde se ruait à l’entrée, tout se passait très vite.

Dans ces marchés, l’usage veut que le premier client ayant posé la main sur un objet en ait l’exclusivité. Une coutume que j’avais apprise dès mon plus jeune âge. Et je me souviens encore de la première fois où je l’ai pratiquée moi-même, étant encore une enfant.

Les portes venaient de s’ouvrir et la cohue était totale. Perdue au milieu des gens courant en tous sens, je lançais mon regard sur les milliers d’objets exposés lorsque j’aperçu une pièce qui attitra mon attention. Une toute petite vérine de Spa. Le type de pièce que j’avais déjà vue dans la collection de mon père. Quelque chose que je connaissais, quelque chose de bien. Mon sang ne fit qu’un tour, je plongeai et mis la main sur l’objet. Lorsqu’il vit que j’avais réservé un objet, Papa fut d’abord inquiet, puis il considéra ma trouvaille. Et il constata que j’avais fait un très bon choix. Quelle ne fut pas ma fierté, d’avoir réussi à trouver cette pièce parmi un tel océan d’objets !

Aujourd’hui encore, nombre de mes clients s’étonnent de l’œil que je peux avoir pour repérer ou examiner un objet. Je me plais à leur répondre que c’est simple, pour qui a passé son enfance dans les foires et les marchés.

Une passion qui s’est transmise

En grandissant dans un tel environnement, est-ce vraiment étonnant si je choisis à mon tour de consacrer ma vie aux objets du passé ? En ce qui me concerne, ce fut la restauration et la conservation des meubles anciens qui retinrent mon intérêt.

Lorsque je fis part à Papa de mon souhait de m’orienter vers cette discipline, pour laquelle il n’existait pas réellement d’école en Belgique, il fut catégorique:

« Si tu veux apprendre à restaurer un meuble, tu dois d’abord connaître et comprendre la construction d’un meuble. »

Il tenait à ce que je suive une formation en ébénisterie et sculpture, avant d’entamer des études de restauratrice. Une étape qui ne m’enchantait guère, mais j’acceptai et m’inscrivis à Saint-Laurent à Liège pour suivre ce cursus.

Le premier jour des cours, mon père me prit à part et me présenta un splendide coffre d’ébéniste, garni de tous ses outils anciens. Une véritable merveille !

« Quand tu auras fini tes études, ce coffre sera à toi. »

Pour moi qui avait été élevée dans l’amour du beau, de l’ancien, de l’authentique, il ne pouvait pas y avoir meilleure promesse de récompense. Je fis donc tout ce qu’il fallut pour arriver au bout de ma formation, après quoi je reçus le précieux coffre. Aujourd’hui encore, je garde auprès de moi cet inestimable cadeau, que tant de confrères m’envient, comme un symbole de cette passion que mon père m’a transmise.

Car c’est le mot important: la passion.

Et c’est pour cela qu’il ne faut jamais craindre de franchir la porte de mon père. Beaucoup de personnes considèrent que le magasin d’un antiquaire est un lieu réservé à une élite, un lieu inaccessible pour qui n’est pas fortuné. Mais c’est faux. D’abord parce qu’il existe des objets chargés d’histoire et susceptibles de vous séduire sans vous ruiner. Mais surtout parce que le plus grand désir de Papa est de partager sa passion, son savoir, ses histoires. Et vous auriez tort de vous en priver.


Formée au prestigieux West Dean College en Angleterre, Magali Somers Maus, fille d’Axel Somers, est restauratrice et conservatrice de mobilier ancien. Elle prend en charge la réparation et la restauration de meubles précieux des XVIè, XVIIè, XVIIIè et, plus occasionnellement, XIXè siècle. Elle vit et exerce près de Birmingham, en Alabama.

Console néo-classique suédoise en bois doré – © Magali Somers Maus

Découvrez son travail sur son site: http://www.furniturerestoration.us/