5 moutons bleus dans une Fiat 500

Fort d’une clientèle souvent amatrice d’art et habitué comme il l’est à vendre du beau, l’antiquaire voit facilement son métier glisser vers celui de galeriste, les objets anciens pouvant laisser une place aux œuvres contemporaines. Après tout, le présent est le passé de demain, non ?

N’échappant à la règle, je décidai moi-même de proposer à la vente, dès l’automne 2005, la réalisation d’un artiste contemporain, l’Allemand Rainer Bonk. La réalisation… ou plutôt les réalisations, tout un cheptel de réalisations ! Car l’œuvre de Bonk n’était autre qu’un mouton en résine moulée d’un bleu vif, produit en séries limitées mais néanmoins consécutives: en diffusant ces moutons d’un bleu Klein à travers les villes de l’Euregio, l’artiste aspirait à créer une chaîne d’amitié et de paix entre les habitants, et l’enthousiasme du public fut au rendez-vous !

Le tarif n’étant pas prohibitif, nombreux furent les clients pressés d’acquérir un ou plusieurs exemplaires de l’œuvre, souvent pour agrémenter terrasses et jardins. Et de mon côté, je me plaisais à dire que je ne vendais pas ces braves animaux: je demandais simplement des frais d’adoption à leurs futurs propriétaires…

Parmi ces bergers d’un genre nouveau, je retrouvai un célèbre homme d’affaires liégeois, ayant fait bonne fortune dans la technologie. Grand amateur d’art et mécène à ses heures, ce Client me contacta pour commander cinq moutons qu’il souhaitait installer dans son jardin. Et il fut convenu qu’il viendrait les chercher lui-même dans mon magasin.

Mais quelle ne fut pas ma surprise, lorsqu’il arriva au magasin pour prendre livraison de ses cinq moutons !

Si ce Client, toujours à la pointe du progrès, fut très tôt converti aux voitures électriques, ce n’était pas encore le cas à l’époque. C’est dans une rutilante Fiat 500 jaune canari qu’il arriva et se gara devant mes vitrines ! La réédition de la mythique Cinquecento venait à peine d’être présentée et n’était pas encore disponible en Belgique, mais le Client l’avait fait importer directement d’Italie.

Bien sûr, cette réédition, adaptée aux besoins actuels, présentait des mensurations plus généreuses que son illustre aïeule des années ’50. Mais elle n’en restait pas moins une petite voiture citadine, que rien ne prédestinait à transporter du bétail, fût-il artistique !

Cinq moutons bleus. Une Fiat 500. Avec le Client, nous nous sommes armés de patience, avons pris mille précautions pour ne pas casser les fragiles moulages de résine. Nous avons essayé, échoué, réessayé. Et nous y sommes parvenus. Les cinq moutons bleus sont partis à bord de ce qui était peut-être la première Fiat 500 du pays, une performance artistique relevant de notre trésor national : le surréalisme.